dimanche 1 mai 2011

Savoir utiliser la Nature


Le titre de ce blog aurait pu être "La Nature fait très bien les choses" tant on se plait à le répéter ici. Cet article n'y fera pas exception.
Aussi, après les épisodes sur le Lierre et ses avantages, sur les Berces et leurs hôtes, sur le recyclage des déchets verts au jardin, sur l'arbre anti-cancer, sur les services écosystémiques, etc., j'ai aujourd'hui envie d'évoquer la façon dont on peut utiliser le végétal pour rendre nos routes plus naturelles, sans nuire toutefois à la sécurité de leurs usagers.

Les routes ??? Quelle est cette nouvelle lubie, me direz-vous ?
Avant d'attaquer dans le vif du sujet, laissez-moi donc vous conduire pour une petite balade introductive.

Les savants racontent que la destruction et/ou la fragmentation des milieux naturels constituent aujourd'hui la première cause d'érosion de la biodiversité dans le monde. Les routes et les lignes de chemin de fer qui maillent nos paysages jouent évidemment un rôle crucial dans ces mécanismes de fragmentation : elles découpent de grands ensembles agricoles ou naturels en tout petits morceaux au sein desquels certaines espèces se retrouvent comme piégées parce qu'incapables de traverser les voies. Leurs effectifs déclinent alors lentement sous l'effet de mécanismes démographiques ou génétiques et c'est bientôt l'extinction.
Dans certains secteurs, pourtant, les routes ou les lignes de chemin de fer jouent un rôle étonnamment positif. Dans les grandes plaines où sont cultivées des céréales de manière très intensive, elles peuvent favoriser le déplacement d'espèces mal adaptées à ce type de pratiques. Ces dernières n'empruntent évidemment pas la voiture ou le train, non. Elles utilisent les accotements, ces espaces en herbe que l'on remarque à peine, entre le bitume et le champs, et qui, je vous l'assure, valent franchement la peine de s'y arrêter quelques instants.
Allez, on y va ? Vous me suivez ?


Vous avez peut-être remarqué une légère modification du paysage autour de chez vous, ces dernières années, ou ces derniers mois. Quelque chose de bizarre, un peu comme si un pinceau avait semé des tâches de couleur sur le bord de vos voies de circulation favorites. On dirait que l'herbe est également plus haute... D'aucuns pensent que cela fait "sale", "mal entretenu". D'autres, comme vous, peut-être, sont tombés sous le charme. Comment ce changement est-il arrivé ? Que s'est-il passé ?

Il était une fois, un agent d'entretien de la route qui faisait son travail avec entrain. Dès les premiers signes du printemps, il sortait son épareuse pour avaler des kilomètres d'herbe folle sur les accotements dont il avait à charge la gestion. C'était un dur labeur, surtout quand il faisait chaud. C'était également dangereux, parfois, quand les véhicules lancés à toute allure sur la route départementale le frôlaient dans un vacarme assourdissant. Et pourtant, le scrupuleux agent d'entretien tenait bon : il accomplissait sa mission jusqu'au bout, et ce, plusieurs fois par an, parce que c'était une mission cruciale pour la société. Tellement cruciale qu'il en rêvait parfois la nuit.
Chaque matin avant d'entamer sa bordure, le minutieux agent d'entretien avait coutume de vérifier le bon fonctionnement de sa machine. Mais ce jour là, à l'orée d'un village, quelqu'un vint perturber son rituel. C'était un jeune écolier, apparu d'on ne sait où. Posé là, figé au bord de la route, il lui lançait un regard pesant qui le rendait mal à l'aise.
"Pourquoi tu fais ça ? avait-il demandé.
- Parce que c'est mon travail, avait répondu l'agent d'entretien consciencieux.
- Oui, mais pourquoi faut-il faire ce travail ? Quel est l'intérêt de s'entêter à couper de l'herbe que personne ne regarde tant elle est nue, fade et jaune ? Quel est l'intérêt d'effacer quelque chose qui s'entête à revenir ? Pourquoi ne pas lui laisser une chance de s'exprimer ?
- ..."
Avant que l'agent d'entretien ne trouve une réponse, le petit bonhomme était parti. L'agent d'entretien soigneux se gratta la tête, perplexe. La nuit suivante, il eut du mal à s'endormir. Une question le taraudait : "pourquoi tu fais ça ?" Il n'avait pas de réponse entièrement satisfaisante.
Pour la sécurité des usagers ? Bien sûr, il était important de laisser une bande de sécurité bien entretenue pour qu'un véhicule en détresse puisse se garer. Ou dans les virages, pour que l'on puisse voir au loin. Mais pourquoi faucher toute la largeur de l'accotement ? Une bande d'un à deux mètres suffisait largement !
Pour la beauté du paysage ? C'est vrai que les accotements étaient bien nets après le passage de son tracteur. Il n'y avait pas un brin d'herbe qui dépassait. C'était du beau boulot ! On aurait pu jouer au golf sur le bord de la route... si ce n'était pas aussi dangereux, bien sûr ! En revanche, c'était un peu tristounet. Un peu plat.
Après quelques jours, l'agent d'entretien prit une grande résolution. Il décida d'oublier de passer son épareuse sur un tout petit coin de route, à l'abri des regards. Il attendit la fin du printemps, puis l'été. Il souhaitait laisser à l'herbe "une chance de s'exprimer", comme le lui avait conseillé le garçon. Bien lui en prit : un beau jour, en plein été, il comprit enfin ce qu'elle voulait lui dire en s'acharnant à pousser derrière son tracteur : elle lui avait laissé un message. Un message tout de fleurs tressé. Un message multicolore, chatoyant, ondulant. Un message qui signifiait "et si nous travaillions ensemble pour rendre la route plus belle ?"
Il accepta.
Et bientôt, bourdons, papillons, syrphes, tachninides, chrysides, thomises, criocères (*) s'en vinrent animer les corolles des fleurs de leurs allées et venues. Et avec eux vinrent des oiseaux, des chauves-souris, des petits mammifères, des lézards ou encore des grenouilles, tout contents de trouver là un endroit où vivre, ou simplement un espace leur permettant de se déplacer en toute sûreté de leurs lieux d'alimentation vers leurs sites de reproduction.
Et c'est ainsi que la route entretenue par le méticuleux agent d'entretien passa du statut d'horrible élément fragmentant le paysage au statut de corridor écologique pour la faune et la flore.
Et pour ne rien gâter, les bords de route égayaient le paysage monotone de la campagne environnante, pour le plus grand plaisir des automobilistes. Quel surprenant coup de théâtre !
Et que devint l'agent d'entretien ? On dit qu'il continua de travailler avec la nature et qu'il eut encore de nombreuses idées pour faire de la route un mariage de sécurité et d'enchantement pour l'œil. Mais ceci est une autre histoire...


(*) pour savoir à quoi correspondent ces noms barbares, allez flâner dans les articles de Guillaume, sur ce même blog !  ;-)

2 commentaires:

  1. Ô combien votre plaidoyer pour une tonte raisonnée des bords de route m'a fait plaisir ! Pour nos séances de biologie florale au BV1, ce sont les talus de Seine-et-Marne (région de Meaux)qui fournissaient la majorité des plantes que nous ramassions (avec respect, sans les arracher) tellement leur richesse était grande; c'était aussi un plaisir pour les yeux. Quelquefois, les talus avaient été complètement tondus à notre grand désarroi. Nous avons même vu des talus rabotés.
    Alors merci de défendre ces zones de biodiversité.
    M.D.

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  2. Et le plus beau dans cette histoire, c'est que c'est une histoire vraie (bon, un peu romancée, bien sûr... ;)

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