dimanche 26 octobre 2014

Un coin de banlieue sans histoire... 4


Et puis, un jour, Tronçonnator s’effondre.

Durant toutes ces années, tel un golem moderne, il a servi sans sourciller, sans réfléchir, modelé pour semer la désolation "pesticidentielle" avec le détachement et l'insensibilité propres à ces créatures dévouées et implacables.
Sa servilité sans faille, pourtant, n'avait jamais reposé sur des velléités malveillantes. Lui se pensait convaincu d'effectuer une ingrate mais nécessaire besogne susceptible d'améliorer la vie de ses concitoyens. Loin d'imaginer répandre la désolation, il se confortait dans la conviction d'assainir, de nettoyer les rues comme on le disait encore.

Mais la vue de ces enfants fuyant à son approche avait provoqué un choc irréversible. Pourquoi cet effroi ? Il travaillait pour le bien commun, non ?

Il se remémora alors les premières années de son service. Un mot lui vint à l'esprit : insouciance. Il n'y avait pas cette injonction radicale consistant à traquer toute trace de nature sauvage. Les pissenlits des trottoirs ne provoquaient pas encore d'allergie psychologique chez certains habitants et n'agressaient pas les vieilles dames au détour d'une ruelle sombre. Il avait été embauché comme jardinier (un travail enrichissant) pour s'occuper des quelques parterres localisés uniquement aux endroits stratégiques et prestigieux de la ville (devant la façade de la mairie, le square de la place centrale, etc.). Mais plus le béton s'étendait, plus la surface à entretenir augmentait, moins la nature était tolérée. Faire plus, plus vite, avec moins de moyens.
Le recours aux produits chimiques augmentait sans cesse, induisant un recul implacable du sauvage sur la voirie. Aucun habitant ne l’avait vraiment souhaité mais petit à petit, les trottoirs sans herbe avaient fini par devenir le standard habituel, la mode esthétique et paysagère qu'il convenait d'exiger, sans justification pratique ou logique. C'était devenu le modèle indiscutable. Absurde mais obligatoire.
Alors, il avait du suivre. Il avait subi le mouvement au début, surtout parce qu'il avait dû cesser de pratiquer son métier de jardinier. Et puis, encouragé par sa hiérarchie, il s’était peu à peu transformé en un simple exécutant zélé (un travail simpliste et répétitif).

L'usage massif des produits chimiques avait eu, par exemple, pour effet de généraliser l'installation de vastes surfaces gravillonnées (sinon très difficiles d'entretien) aussi bien sur les espaces publics que chez les particuliers. Ces derniers le questionnaient souvent pour connaître l'herbicide le plus efficace pour leur jardin. Malgré le sujet, il appréciait ce contact avec les habitants.
Mais petit à petit, l’innocuité des produits chimiques fut remise en question. Des doutes, on passa aux certitudes puis aux obligations réglementaires.
Du coup, son corps fut recouvert progressivement d'éléments de protection. Masque, gants, cagoule, bottes et puis combinaison intégrale l'avaient finalement transformé en un Dark Vador contemporain. Certes rouge vif (ou jaune fluo, souvent) mais non moins inquiétant. Plus personne ne lui adressait alors la parole. Pire, ceux qui autrefois lui serraient la main, décrivaient désormais un large détour en changeant de trottoir. Pris au piège de cette mission morbide et absurde dont cet équipement était censé le protéger, il provoquait désormais l'inquiétude et l'effroi d'un pestiféré.

Tout ça pour quoi ? Pour quelques herbes sur le trottoir ? Comment allait-il se sortir de cette nasse ? Pour enlever cet attirail épouvantable, une seule solution : arrêter de répandre des produits chimiques et tolérer le retour des plantes sauvages en ville.
Mais comment convaincre les habitants ?



Guillaume.

Dessin d'Olivier.

Un coin de banlieue sans histoire 1
Un coin de banlieue sans histoire 2
Un coin de banlieue sans histoire 3
Un coin de banlieue sans histoire 4
Un coin de banlieue sans histoire 5