mercredi 26 mai 2010

Ici, le cliché, on le prend, on le retourne et... on le broie menu ! Tome 2


D'où vient cette volonté inconsciente, à la limite de la maniaquerie pathologique de contrôler, de dompter à outrance la nature ?
S'il ne s'agissait que de contrôle... Parce que cette propension à la dominer entraîne aussi beaucoup de destruction, d'extermination. Ces ravages ne résultent pas que de la sustentation de nos besoins et désirs plus ou moins futiles et superflus.
Non, il y a aussi cette peur, cette méfiance voire cette haine envers les êtres vivants non humains. Sinon, comment expliquer cet acharnement à l'encontre de certaines formes de vie auxquelles on peine, même avec la plus grande ouverture d'esprit, à attribuer des pensées existentielles d'une profondeur abyssale susceptibles de motiver une haine viscérale de l'homme. Nous prêtons aux insectes, araignées, serpents, requins, amphibiens et autres fléaux du même acabit des desseins malfaisants, une détermination à nous nuire. Et pourquoi pas un plan concerté de génocide, élaboré à force de réunions secrètes, un complot fomenté par une assemblée invisible de plantes et d'animaux intriguant dès que nous avons le dos tourné, tant qu'on y est ? Tiens, pourriez-vous sérieusement me retranscrire les recommandations perfides d'une amibe à une retorse tige de liseron? Les discussions atrabilaires d'un cloporte et d'une limace misanthropes ? Hum! Je veux bien risquer de supputer que vous peinerez un tantinet à noircir la feuille... Ceci dit, rien ne vous empêche de me contredire dans les commentaires !

L'attribution de ces desseins découle pour une bonne part d'une diabolisation de tout ce qui peut être sauvage ou issu de la nature. Les relations entre la Nature et la religion sont pour le moins conflictuelles.
Le christianisme a eu besoin pour installer son propre socle de bouter hors de leurs piédestaux des divinités incarnées en des créatures et végétaux sauvages. Les religions païennes qui les y avaient placées là avaient d'ailleurs pu faire de même avec de précédentes croyances. Le but n'est pas ici de stigmatiser une religion plutôt qu'une autre mais bien de souligner le processus qui a conduit à associer un imaginaire maléfique à certains animaux. Les serpents (la tentation démoniaque du paradis, cela ne vous dit rien? Après tout, Adam n'avait qu'à pas croquer la pomme) et reptiles se sont mués en dragons ; les preux chevaliers ont pu prouver leur courage en les éradiquant. Saint Patrick les aurait chassés d'Irlande, terre où il n'y a pas de serpents de nos jours... On rigole quand les plus gros spécimens de France ne dépassent pas les 2 m de long.
Petites précisions utiles : en France, tous les ans 2 ou 3 personnes, en moyenne (donc pas forcément tous les ans), meurent des suites d'une morsure de serpent. Parmi ces infortunés, certains sont tués par une attaque cardiaque déclenchée par la peur alors même que le serpent incriminé n'était pas venimeux (couleuvre). Mais la majorité des cas concerne des personnes notoirement et grotesquement imprudentes : du genre à se promener en sandales et shorts dans des zones broussailleuses, à titiller les animaux et négliger de se faire soigner même en cas de morsure par une vipère. Celle-ci n'est possiblement mortelle que pour les très jeunes enfants, les personnes âgées ou particulièrement faibles. Pour le reste de la population et à condition de consulter, le risque de trépasser approche celui d'être assommé par une météorite en sortant de son foyer. Je ne souhaite à personne une morsure et celle d'une vipère est tout sauf agréable. Mais concernant la mortalité, en gros, il s'agit d'un non-risque. A comparer au nombre d'incidents mortels provoqués par des chiens non sauvages, "civilisés" car élevés par des hommes. Ou pire, aux milliers de morts et handicapés suite à des accidents de la route. Pour le coup, il y a de de quoi développer une vraie psychose en montant dans son véhicule. Pourtant, ce sont bien les serpents qui l'emportent largement à ce jeu morbide.

Que dire de ces pauvres amphibiens : le crapaud, symbole de déchéance, forme dégradante d'une métamorphose punitive est considéré comme sale et répugnant alors que sa peau exsude un mucus antiseptique qui le nettoie en permanence. Un gel douche auto-produit en quelque sorte! Il lui confère aussi une saveur désagréable mais pas de quoi rendre malade. ll y a bien quelques prédateurs pour s'en contenter. A peine de quoi donner un goût exécrable (et donc crédible) à un remède de sorcière : nous revoilà aux prises avec le pendant démoniaque.

La Chouette Effraie (rien que le nom m'amuse ! Toute une histoire!) ou Dame Blanche : réincarnation spectrale d'une dame toute de blanc vêtue terrorisant les erres nocturnes pour assouvir un obscur besoin de vengeance. Athéna avait pourtant choisi une petite cousine, la chouette chevêche, pour symboliser la sagesse mais bon, les hommes, eux, ont perdu la leur en chemin. Qui va s'occuper des rats et autres rongeurs nocturnes alors? Les villes sont éclairées la nuit stimulant la ponte des pigeons comme pour ces malheureuses poules de batteries. Du coup, pour se protéger de cet afflux de roucoulements et fientes associées, on grillage tous les accès aux parties intérieures des bâtiments publics et religieux. La chouette se trouve privée de ces gîtes à son tour. Pourtant, l'un de ses noms témoigne que ce n'était pas le but recherché : Effraie des Clochers. Ce sobriquet constituerait un sacré contre exemple à la présente démonstration s'il qualifiait la réalité. Et les pigeons et souris, proies potentielles de la chouette, de festoyer toute la nuit. Ah, non, j'oubliais nous avons nos dangereux produits chimiques... C'est quand même plus rassurant: on s'empoisonne mais on sait comment ; on maîtrise le processus. Il vaut mieux en rire. Où est la logique?

Et le sanglier, incarnation de la sauvagerie dans ses connotations les plus négatives alors que cet animal a, selon ses détracteurs les plus retors, gagné en intelligence ce qu'il a perdu en grâce physique. Je connais aussi beaucoup de photographes fascinés par sa beauté, sauvage, justement : ce côté ténébreux et fougueux, ce tempérament plein de vigueur... Faudrait peut-être arrêter de les nourrir, s'il y en a tant que ça! Mais il est vrai qu'ainsi, il devient plus difficile de les louper ! Ça défoule certains...

La liste est longue et il serait fastidieux de la dérouler jusqu'au bout (à vos commentaires !) mais je vous propose encore un exemple : les araignées, tellement haïes qu'elles ont fini par incarner l'horreur visuelle absolue, la peur hystérique. Ceci dit, un extra-terrestre sans idées reçues serait peut-être plus effrayé par nos apparences que celles des arachnides. Après tout, nous apprenons à les trouver moches. Accusées de toutes les piqûres mystérieuses ou inexpliquées, elles sont pourtant quasi incapables, en France et dans une large part de l'Europe de piquer la peau humaine. A part quelques espèces cachées sous les pierres de garrigue du sud de la France qui peuvent éventuellement causer quelques blessures (il faut donc le faire exprès pour aller se faire piquer!), celles que nous côtoyons sont absolument inoffensives. A moins de les plaquer sur les parties les plus tendres de nos épidermes pour les forcer à mordre, il n'y pas moyen. Mais qui pratique une activité aussi fantaisiste? Si vous connaissez ce genre d'hurluberlu, votre témoignage nous intéresse ! Mieux vaut se souvenir de la quantité phénoménale de moustiques, moucherons, mouches et autres pauvres bestioles qu'elles capturent tous les jours réalisant raisonnablement la mission de régulation avec infiniment plus de propreté que nous et nos insecticides polluants. En d'autres régions du monde où les piqûres de certaines espèces sont beaucoup plus dangereuses, les araignées constituent un met recherché. Cela laisse songeur sur la logique des humains...
Un dernier pour la route, le même rôle est joué par les chauves-souris, terrifiantes avec leur stature colossale de la taille d'un moineau, qui peuvent capturer chacune plusieurs dizaines de moustiques par nuit.

Concernant Dame Nature, nous évoquions son manque d'assiduité à l'église (cf. "Ici, le cliché, on le prend, on le retourne et ... on le broie menu ! Tome 1") telle une sauvageonne incontrôlable, une hérétique perpétuellement visée par la conversion forcée. Il s'agit surtout d'illustrer cet acharnement à la contraindre à nos lois, nos usages si absurdes soient-ils. Plutôt que de chercher à lutter contre la nature, pourquoi ne pas essayer de l'accompagner voire de se servir de ses formidables ressources ? La Nature a cette capacité à combler le vide. Trop souvent, nous nous opposons frontalement à cette force au lieu de la détourner à notre profit. Soyons judokas.

On remarque d'ailleurs que tout le petit peuple féérique issu des cultures celtiques, païennes et autres suscite beaucoup d'émerveillement ou de sympathie dans les milieux écologistes mais aussi auprès d'un public beaucoup plus large dans les créations artistiques (cinéma, bandes dessinées, illustrations, etc.). Ce n'est que logique dans la mesure où ces créatures matérialisent allégoriquement des propriétés, des forces naturelles parfois craintes mais toujours respectées et souvent vénérées. Chaque tronc, chaque souche, chaque libellule ou salamandre renferme un esprit, un lutin, un petit être magique, chaque montagne a ses trolls, ses dragons, toutes créatures en parfaite adéquation avec la vigueur, la puissance, le génie sauvages.

Ah! Quelles fariboles n'écrirait-on pas pour justifier la publication de quelques croquis et aquarelles...
Enfin, vérifiez-bien tout de même qu'aucune nymphe ne se cache dans le tronc d'un arbre avant de le couper, qu'aucune mante religieuse douée de parole n'est camouflée dans les quelques hautes herbes que vous allez faucher, qu'aucun gardien salamandre ne surveille l'accès à la cavité d'une vieille souche... On ne sait jamais.

PS : Cet article avait un précédent !

1 commentaire:

  1. Bravo Guillaume pour ce pastiche qui remet les choses en place : cette hérétique et sauvageonne Nature si effarante pour notre compréhension humaine. Un grand merci pour l'humour de ce discours et son humanité.
    Judoka-llement vôtre,
    Isabelle Michaut-Pascual

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