vendredi 28 septembre 2012

Rose : la couleur de la révolte ! - épisode 6 (témoin 3 : le Taon blanc)

Episode 1
Episode 2
Episode 3
Episode 4
Episode 5
   
26 juin 2013

Roulements de tambours et pompeuses trompettes tonitruantes : trombe routinière du générique du journal de 20 heures. Laurence Lamborghini Quadriturbo annonce la une du jour :
" Le procès qui fait la une de tous les journaux, c'est donc celui de Robin des champs, le chef rebelle des chardons qui osent pousser librement malgré l'arrêté préfectoral qui impose leur éradication (Cirsium arvense seulement - NDLR). Partout dans le pays, des mouvements spontanés, autoproclamés de citoyens, se revendiquent de ce porte-étendard et réclament le droit des espèces sauvages à pousser librement ! Notre jeune envoyé spécial Philistin De Jolibourg a interviewé quelques-uns de ces énergumènes dans l'impayable bourgade de Vazy-les-Beaux-Près au coeur de la France rurale, profonde voire abyssale. A vous Philistin !"

L'apprenti journaliste, en costume cintré Georges Armanni et chaussures en cuir étincelant, tout frais émoulu de l'école de journalisme privée de Papa prend la parole la voix tremblotante et un rictus crispé aux lèvres :
"Chère Laurence, en effet, me voici arrivé aux confins du monde civilisé. Je ne suis qu'à moitié en sécurité ici mais mon devoir de reporter doit surpasser cette angoisse légitime. Je me trouve dans une sorte de no man's land anarchique : il s'agit d'un pré que le propriétaire, heureusement recherché par les autorités, a refusé d'entretenir malgré la présence de quelques chardons actuellement en fleurs. Il s'agit d'un soi-disant agriculteur bio (c'est la mode !), éleveur très extensif et apiculteur par dessus le marché !
Il y a aussi une effrayante variété de fleurs toutes plus sauvages les unes que les autres. Une vraie zone de non-droit, pas un passage de tondeuse depuis le début de l'année et j'ai bien peur que cela continue, au minimum jusqu'à l'automne ! Aucun contrôle, aucune maîtrise d'une quelconque société civilisée n'est visible.
Avant de m'enjoindre à m'éclipser, et je vous épargne les brutalités de son langage, la fourche menaçante, sa femme pittoresque a vociféré quelques récriminations suspectes contre la technologie de l'agriculture intensive moderne et tous les progrès qu'elle a prodigué depuis des dizaines d'années : produits chimiques, remembrement d'ampleur et suppression des haies gênantes, labour profond, engrais de synthèse, etc. Je vous épargne la liste complète de ce ramassis de clichés, sans originalité !!

Une foule d'insectes gravite autour des fleurs. Mon Dieu que c'est stressant ! Je vais tout de même tenter d'interviewer une étrange mouche albinos que j'aperçois là-bas, probablement dégénérée par force consanguinité.
Euh, bonjour, euh... Monsieur, Madame ?"

Atylotus fulvus
 
Atylotus, le taon du coin vient sans entrain :
"Salut le bleu ! Je t'entends déblatérer le lot quotidien des bêtises qui me hérissent le poil. Je vais d'abord corriger ton ignorance. Je suis un taon de l'espèce Atylotus. Si tu ne connais même pas mon nom, comment espérer que tu saches quoi que ce soit sur ma vie, mon rôle dans l'écosystème ? Pas d'espoir d'un quelconque respect voire seulement d'un arrêt des persécutions..."

Philistin De Jolibourg, reculant d'effroi :
"Oh, mais j'en sais désormais juste assez ! Vous êtes un taon ! Les créatures de votre espèce sont assoifées de sang. Ne m'approchez pas, vil vampire !"

Atylotus, sec :
"Oh ! Ferme-la donc ! Jeune imbécile ! Mes yeux joints prouvent que je suis un mâle. Et comme tous les mâles de taon, je suis un butineur ! Je me nourris exclusivement de nectar. Je pourrais prétendre rejoindre le CIGAL, très select  "club des insectes gentils et acceptables légalement" surreprésenté par les abeilles à miel, même si je n'ai aucune rancœur à leur encontre.
Et ne me cherche pas car je ne suis pas des plus recommandables. Je suis moi aussi recherché par la police car j'ai été contrôlé positif au nectar de chardon lors d'une descente de la police municipale la semaine dernière dans un terrain vague du gros bourg voisin."

Philistin De Jolibourg, retrouvant le ton de la réprobation :
"Hum ! Enfin, j'espère que vous n'en êtes pas trop fier, Monsieur !"

Atylotus, bravache :
"Oh que si ! Ma femme me méprise car je n'ai pas osé voler comme elle du sang pour assurer l'avenir de nos larves et les incultes comme vous nous confondent tantôt avec des mouches coprophages ou des bestioles agressives qui n'existent que dans leurs pires cauchemars. Là, du coup, j'assume complètement le rôle du butineur inconnu. Je visite toutes sortes de fleur mais je tiens à soutenir les chardons de toutes espèces pour leur franche générosité dans ce domaine. J'ai retrouvé ma dignité via leur combat juridique."
 
Philistin De Jolibourg, gêné aux entournures :
"Certes, bon, j'avoue que j'étais mal renseigné à votre sujet mais enfin reconnaissez que trop d'insectes nuisibles pullulent dans cette prairie non fauchée ! Tout cela n'est pas compatible avec la société humaine !"

Atylotus, rageur:
"Ah ! Mais décidément, vous ne comprenez rien ! Regardez, là-bas, des syrphes : ces butineuses sont des diptères (des mouches pour les ignorants de votre genre) tellement inoffensives qu'elles sont obligées de se déguiser en guêpes pour avoir la paix. En plus, leurs larves sont de voraces prédateurs de pucerons ! C'est pas utile ça ? Hein ?"

Syrphe.


Philistin De Jolibourg, tout couillon :
"Euh, si mais..."

Atylotus, exaspéré:
"Et là une tachinaire : l'adulte butine et la larve régule les populations de chenilles en les dévorant de l'intérieur. Nuisible ?"

Philistin De Jolibourg, quasi-coi :
"Euh, ben non..."

Atylotus, lassé :
"Bon allez, j'en peux plus. Allez donc l'interroger si voulez faire correctement votre métier. Vous allez faire un scoop car elle va prochainement témoigner au procès surmédiatisé du chardon rebelle."

Philistin De Jolibourg, souriant niaisement :
"Oh oui ! Merci, Monsieur ! Et désolé, hein ?"

Atylotus, l'air de rien:
"Oui bon et j'allais oublier : pour éviter de vous faire remballer, n'allez pas trop la titiller à propos de son physique. Elle risquerait de se vexer... A bon entendeur, salut !"

Philistin De Jolibourg, en chemin, parlant pour lui-même :
"Finalement, le Taon blanc, c'est excellent !"

Guillaume.

Suite au prochain épisode, consacré à la grande Tachinaire.

1 commentaire:

  1. Alors là, la fin est énormissime ! J'adore !
    Ha là, là, ces journalistes, je te jure, on se demande bien où ils ont été formés !!

    Je vais m'empresser de lire quelques épisodes que j'ai subrepticement ratés.
    Bises à vous deux.

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