mercredi 8 février 2012

Le soutien psychologique de Jean Henri Fabre.

Comme le disait le percutant maître thaïlandais du 8° siècle Kim Khi Kogn, "la puissance dévastatrice du "qu'en dira-t-on ?" peut annihiler tout projet non conforme aux règles du troupeau".

Même si ce projet est frappé au coin du bon sens.

Bon, vous avez tout lu Freud et un Retour aux sources. Et vous avez appliqué les consignes à la lettre. Je m'entends, celles du blog, hein?

Vous n'êtes pas peu fier de votre jardin qui concentre dans un espace contraint un panel exhaustif de techniques favorables à la biodiversité. Vous vous êtes émerveillés des mauves sylvestres, des vipérines, des coquelicots et des compagnons blancs, toutes fleurs sauvages, qui ont poussé librement. Certes, un peu seul pour l'instant car vous n'avez pas encore convaincu vos voisins. Certes aussi, vous vous êtes un peu vexé quand cet ingrat de Demi-deuil, dont la chenille s'était développée sur VOS graminées sauvages et spontanées, s'en est allé butiner les asters horticoles du voisin qui rase sa pelouse avec l’assiduité du coiffeur d'un monastère de moines bouddhistes.
Re-certes, alors que vous aviez respectueusement préservé de la fauche une parcelle (1) refuge d'herbes sèches pour l'hiver, vous n'avez pas apprécié la remarque désobligeante de ce même voisin quant à l'esthétique douteuse de votre "bout de friche", selon sa propre expression.

Ahhrrrg !! Et puis re-re-certes, vous avez tenté de le contredire mais avant d'articuler 2 mots, vos lèvres se sont figées à la vue de ce spectacle déconcertant. "Ce qu'elles peuvent être sèches ces plantes ! Et grisâtres ou marronnasses avec ça ! Comment y voir une quelconque beauté ?", avez vous ruminé intérieurement.

Ah ! Malheureux ! Votre foi vacille. La pression sournoise du "qu'en dira-t-on ?" menace les fondements de votre engagement en faveur de la nature.

Il vous faut une assistance psychologique de toute urgence. Sinon, vous risquez de mettre un terme à toutes vos initiatives de gestion innovantes, pleines de sagesse pour suivre les règles absurdes du troupeau.
Alors, écoutez ! J'ai cinq minutes, là. Si vous voulez, je vous prends en consultation exceptionnelle. Bon, d'accord, allongez-vous sur le divan.

Je vous propose une attaque rhétorique coordonnée selon les trois mouvements du désormais illustre et fulgurant maître laotien du 9° siècle Kim Ki K'ogn :

Esquive.
On ne peut pas contrer une attaque sur l'esthétique frontalement. C'est bien connu, les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Ceci dit, si esthétique et biodiversité sont deux notions différentes, elles ne sont pas antagonistes non plus !  Du coup, vous allez changer le niveau de votre regard. Changez d'échelle. Accroupissez-vous. Et regardez de plus près.

De taille.
Au début, vous ne verrez rien de spécial mais si vous attendez quelques secondes vous découvrirez dans votre parcelle refuge une diversité de formes largement supérieure à celle du billard vert et désertique de votre cher voisin. S'il n'y a plus ni les fleurs ni les arthropodes bariolés de la belle saison, il reste surement une belle diversité de graines, de feuilles, d'ombelles, de fruits.
Votre voisin ne goûte pas le charme d'une sommité sèche de carotte sauvage ou de tanaisie, pourtant germes d'une prochaine floraison aussi belle et naturelle que gratuite ? Et bien, ce n'est pas grave ! Car les petites bestioles ne sont pas en reste. Elles ont laissé pour vous derrière elles des traces riches d'historiettes parfois bouleversantes. Cherchez bien et découvrez alors des cocons, des chrysalides, des urnes, des amphores, des toiles dans lesquelles la vie palpite encore.

D'estoc.
Votre voisin n'est pas impressionné par ces boîtes sèches. Bon, c'est sûr, il s'en tient une sacrée couche ! Mais comme le proférait le sagace et vénéré maître birman du 7° siècle Kimki Khogn : "qu'importe de convaincre les convaincus !"
Persévérez-donc : votre dernière attaque vise au cœur. Prenez-le par les sentiments. Émerveillez-le avec un récit plus fort que son imagination ne peut en concevoir. Révélez-lui les secrets et l'intimité d'une amphore d'Eumenes sp. en une trilogie d'apothéose. Des mouvements de Tai-chi-chuan sont les bienvenus pour accompagner votre démonstration et la doter d'un impact supérieur.

Acte 1 - une technique ébouriffante :
Décrivez le génie bâtisseur de cette femelle d'hyménoptère qui élabore une petite capsule parfois appelée amphore ou urne incroyablement résistante, à l'aide d'un mortier composée de terre poudreuse, de grains de quartz ou d'autres matériaux aux reflets scintillants. Précisez que la pauvre bête amalgame le tout à l'aide de sa seule salive. Laissez observer la belle régularité de la capsule souvent munie d'un superbe goulot.

Acte 2 - chasse implacable et amour maternel :
Vantez le mérite de cette femelle bâtisseuse, mère courage,  qui va ensuite capturer et paralyser une quinzaine de petites chenilles qu'elle placera sans les tuer dans l'amphore. Elle y pondra un œuf dont la
larve sortira plus tard.

Acte 3 - psychodrame horrifique (censuré aux moins de 16 ans) :
La petite larve avec son minois angélique et son air innocent va tout bonnement dévorer toutes crues les chenilles agitées de spasmes sous l'effet des morsures. Suspendue au sommet du dôme intérieur via une sorte de gaine de soie télescopique, elle fond sur ses pauvres victimes comme un couteau de cuisine sur un excellent boudin. Sans grand courage, elle s'en dégage dès que la véhémence de leurs réactions s'amplifie.
En temps voulu, l'année suivante, elle reproduira les mêmes supplices auprès d'autres malheureuses.

Mais bon, faut savoir ce que l'on veut ! Ces petites chenilles auraient tout aussi bien pu grignoter vos salades. Alors autant avaler les miennes car la nature est décidément bien faite. Cela vous évitera une aspersion de produits biocides...

Si votre retors voisin bouge encore à ce stade de votre récit, c'est que vous ne l'avez pas assez frappé. Dans le cas où vous auriez fait montre d'un sang-froid en tous points extraordinaire, en lui épargnant vos uppercuts, vous pouvez encore légitimement tenter de lui faire lire de force le récit détaillé suivant.

En effet, je n'aurais pas osé risquer de platement et vainement paraphraser cette figure tutélaire de l’éthologie et de l'entomologie, Jean Henri Fabre ; je me suis contenté d'esquisser rapidement le cycle de vie de la bestiole sus-citée.

Si votre voisin ne cède pas après cette lecture, s'il n'est pas contraint de poser le genou à terre en signe de soumission face au génie de la nature, changez de voisin !

Mais vous, vous n'allez pas céder ! Vous allez continuer !
La nature vous remercie !

C'est dans la boîte.

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