mercredi 26 octobre 2011

Merle ou Ptérodactyle ?

Allez, je me lance : mésanges à longue-queue ?
Je ne sais pas si c'est le cas pour vous mais j'ai souvent besoin de me constituer de petits outils sémantiques. Des sortes de devises aux allures de principes définitifs, auxquelles je vais me raccrocher pour tenir le cap de ma vie.
Je commence par glaner des idées de-ci et de-là, ou je tente d'en concevoir. Et puis je les mastique, les rumine, les digère. Parfois, je me noie dans l'introspection et là, c'est la crise d'encéphale : surchauffe et bouillonnement du cerveau. Éventuellement avec une petite déprime passagère à la clé. Mais sans gravité, n'allons pas imaginer que réfléchir est dangereux pour la santé !
De temps en temps, il en ressort un précepte à la concision redoutable, porteur de valeurs utopiques qui m'aide donc à m'orienter. Je m'y raccroche ou le décoche comme un trait sémantique au cours d'échanges les plus divers.
Tiens par exemple, d'autres l'ont surement formulé auparavant mais en voilà un qui m'accompagne depuis plusieurs années sans s'user : "Moins mais mieux." Ça marche du tonnerre avec la consommation, la télévision, la nourriture, etc.
Vous méditerez dessus plus tard si le cœur vous en dit mais en attendant je voudrais vous proposer quelques réflexions autour d'un autre principe, ici mis en relation avec la nature :
"On ne protège que ce que l'on connaît".

Et finalement, on connaît quoi ? C'est un fait que l'on arrive toujours (plutôt facilement si l'on est assez ouvert) à rencontrer des gens susceptibles de nous instruire, de nous faire partager leurs savoirs.

Mais ce qui est vertigineux, ce sont les niveaux de connaissances successifs que l'on découvre en approfondissant l'étude d'une thématique, quelle qu'elle soit.
Prenons l'exemple d'un domaine naturaliste pourtant largement étudié. Je redécouvre cycliquement mon ignorance ornithologique.

A l'âge de 15 ans, je suis resté abasourdi par la capacité d'un certain Grégoire à coller un nom sur la silhouette d'un rapace qui planait à 50 mètres au-dessus de nos têtes. Il avait juste commencé l'ornithologie et pas moi. C'est un peu grâce à lui si je me suis passionné pour la nature (merci à lui, donc !). Deux mois plus tard, je me faisais offrir une petite paire de jumelles. Cette acquisition changea radicalement ma vie et je pèse mes mots.

La première phase, dite de l'émerveillement, débuta. Ce fut un moment où j'en pris plein les yeux. "Oh ! Mais le rouge-gorge à vraiment la gorge rouge ! Comme il est grand ce héron ! Que ce rapace vole bien ! Et tous ces oiseaux aux couleurs exotiques, comme en Amazonie !" Bref, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Mais pourquoi pas, après tout ! Ce moment n'a rien de ridicule et s'avère essentiel pour cristalliser cette capacité à s'émouvoir et à s'émerveiller. Je suis alors devenu accro et hypersensible à la beauté de la nature. Au point d'en souffrir quand je constate sa destruction, revers de la médaille...

Vint ensuite le temps de la détermination. J'ai dû acquérir un guide ornithologique. Pour continuer dans la veine esthétique, j'ai commencé avec le superbe "Lars Jonsson". Avis aux amateurs, il n'est surement pas le plus "efficace" pour la reconnaissance mais bon sang, c'est de loin le plus beau...
Bref, au bout de 2 ans, et après avoir fait le tour des oiseaux notoirement communs de la campagne du sud-ouest français, j'ai commencé à impressionner le quidam. Tout fier de pouvoir discerner le faucon crécerelle de la buse variable, j'avais la sensation d'être le boss de l'ornithologie du canton ! Savant naturaliste précoce s'imaginant fouler les traces de Buffon et Linné, la grenouille était à deux doigts d'éclater !

Un drame évité de justesse lorsque, jeune étudiant, j'entrai en contact pour la première fois avec d'autres spécimens d'hominidés aux mœurs naturalistes aussi étranges que les miennes. Le passage obligé par l’association nature.
Et là, j'ai compris que je ne savais rien. Dès la première sortie, sur les berges d'un étang, un collègue me signala un fuligule milouin d'un vague geste de la main en direction de l'eau. Ignorant que j'étais , je cherchai un truc mouvant à mi-distance et remarquai une libellule à un mètre du bord. Je m'empressai bien évidemment de faire remarquer que j'avais détecté l'insecte, en vantant la beauté de son corps bariolé.
J'en fus pour mon compte : honteux, gentiment ridicule et couillon. Tout le monde passa le reste de la journée à me chambrer. Il n'y avait juste pas d'étang remarquable près de chez moi et je n'avais pas trop pensé à en chercher un peu plus loin pour étudier les canards... Bon, si vous pensez que je m'en tenais une bonne couche, vous avez surement raison (On confirme ! NDLR).

Ce genre de déconvenue est salutaire de temps en temps : il oblige à intégrer une bonne dose d'humilité qu'il convient de garder (même dans le cas où l'on deviendrait un grand ponte de l'ornithologie. A bon entendeur !)
Pour le coup, cette fois-ci, j'ai fait fort et je me suis mis a douter de tout, quitte à en devenir ridicule dans l'autre extrémité : "Hum, voyons-voir ! Une analyse morphologique approfondie de ce spécimen révèle la présence d'ailes porteuses de plumes. Le fait est confirmé par l'observation de l'espèce en vol. Un bec jaune associé à un plumage noir. La présence régulière de l'animal dans le jardin prouve un caractère relativement commun de la distribution... Je penche pour un oiseau. J'oserais "Merle noir" mais sans certitude... J'attends encore les analyses ADN. Qu'en pensez-vous chers collègues naturalistes?"

Point trop n'en faut et au bout d'un certain temps sur le terrain, j'ai retrouvé le minimum d'assurance nécessaire pour arrêter les séances devenues quotidiennes d’auto-flagellation. Alors que je commençais à avoir une réelle compétence (Ça y est, ça le reprend ! NDLR)  à identifier la plupart des oiseaux que j'observais, une nouvelle montagne se dressa sur ma route d'éternel apprenti ornithologue. Les chants d’oiseaux.
Un jour, un nouvel étudiant compétent dans le domaine mena une sortie nature pour notre association sur le thème des émissions sonores. Je fus effaré (Ah, mais quel gros naïf, ce type ! NDLR) de constater le nombre faramineux d'oiseaux à côté desquels je passais. Bien souvent, je n'avais même pas pensé à tendre l'oreille.
Et donc c'était reparti pour un tour. Achat de 4 CD d'enregistrements de chants d'oiseaux et deux ans d'efforts avec les potes pour mettre un chant sur chaque nom connu. Et un entraînement permanent sous peine de régresser fissa ! L'avantage, c'est qu'on pouvait détecter des oiseaux "inédits" que l'on aurait sinon ignorés car peu distincts visuellement (exemple : le Pouillot fitis).
D'ailleurs, en tant que vieux sage expérimenté (Dis-donc, fanfaron, relis-donc les paragraphes précédents ! Incorrigibles, ces ornithos ! NDLR), je ne saurais que trop recommander de commencer l'étude simultanée des reconnaissances visuelle et auditive pour ceux qui se lanceraient dans l'ornithologie.

J'ai déjà beaucoup écrit et il serait long de détailler les occasions de rester humble quant à son savoir. Je cite en vrac, des événements ou découvertes qui m'ont confirmé dans cette opinion en dévoilant des pans entiers de savoirs à acquérir :
- l'achat (Donc, il faut consommer un peu tout de même, n'est ce pas ? NDLR) d'une longue-vue qui en permettant de se mettre à distance facilite l'observation d'oiseaux farouches,
- des vacances en Bretagne qui m'ont confronté aux oiseaux marins et aux erratiques occasionnels égarés, parfois en provenance d'autres continents (et donc pas toujours dans les guides),
- la montée en puissance d'Internet et ses forums d'observateurs qui signalent tel ou tel oiseau rare là où l'on ne l'aurait pas imaginé,
- et surtout la rencontre avec d'autres ornithologues aux compétences largement supérieures voire stupéfiantes qui révèlent douloureusement que l'on a dû souvent se tromper sur telle ou telle détermination auparavant.

Bref, tout cela pour dire l'infinie richesse de la nature. Et si "on ne protège que ce que l'on connaît" et vu que même des passionnés peuvent n'avoir qu'une connaissance très partielle de leur sujet, il y a danger à voir s'étioler cette richesse dans l'indifférence générale par manque de connaissance...

Guillaume

1 commentaire:

  1. Et c'est pareil pour la philo, pour la socio, pour la pédagogie, pour tout apprentissage... Il faut s'en donner les moyens ! T'as vu tout juste ! Bingo!

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